De Bangkok à Zurich en passant par Dubaï, les mêmes tours et « maisons d’architecte » toutes de béton et de verre, produit emblématique de la mondialisation. Une image de modernité à grand prix, au détriment d’une culture propre, du contexte climatique et de l’économie énergétique.
Alors que j’écris ces lignes, me reviennent à l’esprit les bâtiments vitrés de Brazzaville, avec leurs reflets bleutés ou verdâtres maladifs, comme un écho à leur air intérieur sur-climatisé. La terre crue, pourtant reconnue pour conserver la fraîcheur, est reléguée au rang de « matériau du pauvre » et délaissée au profit de ces bâtiments « modernes » dont les parpaings de ciment creux et les vitrages réfléchissants ne parviennent pas à contrer l’entrée de chaleur.
Il fut une époque où, en Europe aussi, nous avons choisi la voie du non-sens.
Tom Wolfe, dans son livre « Il court, il court le Bauhaus » situe la naissance du « style international » après la seconde guerre mondiale et l’attribue à l’émergence de l’école du Bauhaus1. « Repartir de zéro » était le motto des jeunes artistes et architectes de l’époque. Ce qui était en premier lieu une motivation idéologique dans un contexte d’après-guerre, s’est peu à peu traduit dans l’architecture, faisant fi de générations successives de cultures constructives contextuelles. La « boîte de verre », érigée d’abord sur les ruines fumantes de l’Europe, est rapidement imitée aux Etats-Unis puis gagne peu à peu le monde entier.
Seulement le « style international » n’a pu s’imposer dans le monde entier qu’à cause d’une seule et unique chose : l’accessibilité aux énergies fossiles abondantes et bon marché. Ce qu’un groupe d’architectes visionnaires de l’ère moderne a rêvé, l’industrie du pétrole l’a réalisé.
Comment expliquer sinon l’avènement d’une architecture consommant une énergie folle pour sa production, son chauffage ou sa climatisation ?
Au-delà des considérations d’ordre culturel, une architecture non contextuelle est en contradiction avec son environnement extérieur et des efforts démesurés doivent de ce fait être déployés pour la rendre vivable.
Dans l’ère préindustrielle, le tableau architectural mondial était tout autre. A chaque zone climatique particulière de la carte de Köppen-Geiger2 correspondait une culture constructive propre, en adéquation intrinsèque avec son environnement extérieur.
Parmi de nombreux exemples, on peut citer les maisons scandinaves dont les toitures étaient recouvertes d’une épaisse couche de terre et de végétation pour limiter les déperditions de chaleur. On peut également penser à ces maisons aux murs épais du désert avec leurs « cheminées » destinées à capter le vent et ainsi créer un courant d’air rafraichissant à l’intérieur. Autant de systèmes ingénieux enracinés dans les ressources locales et affinés de génération en génération pour un climat intérieur agréable, dont les enjeux dépassent de loin ceux de la simple « illusion du moderne ».
Car il s’agit bien d’une illusion. A l’heure où nos ressources s’épuisent et où l’accès aux énergies fossiles n’est plus garanti, le « moderne » se doit de changer de visage.
Je me souviens que lorsque j’annonçais à mon entourage que je comptais faire des études d’architecture, on me posait souvent cette question : « Plus tard, tu voudras faire de l’architecture ancienne ou moderne ? » Chaque fois, elle me laissait perplexe. Aujourd’hui, je peux répondre avec assurance que je souhaite participer à une architecture résolument contemporaine. Une architecture décarbonée, contextualisée, suivant les principes du bioclimatisme.
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Image de couverture : Prime Tower, Zurich, Gigon/Guyer Architekten
Livre, Tom Wolfe
Livre, Sandra Piesik
Livre, Hönger, Brunner & Menti
Livre, Armelle Choplin