Dans le cadre de discussions autour du climat, vous avez probablement déjà entendu le terme de « puits de carbone » ou encore d’« émissions négatives ». Si ce concept a toute sa valeur dans le cas d’une forêt en expansion1, c’est loin d’être aussi simple dans la construction. Pourquoi ? Nous allons voir cela de suite.
Il s’agit d’un « Système naturel ou artificiel permettant de capter et de stocker une quantité significative de dioxyde de carbone (CO2), de manière à en limiter la concentration dans l'atmosphère. »2 « En stabilisant la quantité de CO2 atmosphérique, les puits de carbone influent sur le climat planétaire, et donc sur toutes les composantes de l'environnement qui en dépendent. »3
C’est un phénomène que l’on observe notamment en forêt : les arbres font de la photosynthèse et fixent le carbone pour grandir. Augmenter la surface des forêts est donc une stratégie envisagée pour « retirer » l’excédent de CO2 de l’atmosphère, dans le but de mitiger le dérèglement climatique. Ce n’est toutefois pas aussi simple et il reste impératif de réduire nos émissions de CO2 avant de mettre en place des méthodes de “compensation”.
Dans le cadre des bilans carbone pour le bâtiment, d’aucuns se sont dit qu’il fallait considérer l’effet de puits carbone dans les calculs incluant le bois comme matériau de construction. Au lieu de comptabiliser uniquement les émissions de CO2 liées à la coupe du bois, son transport, sa transformation et sa mise en œuvre dans le bâtiment, certains experts prennent désormais en compte à prendre en compte la quantité de CO2 stockée dans le bois au cours de sa croissance.
Emissions de CO2 – Quantité de CO2 stockée = Emissions totales
Dans le cas de nombreux produits dérivés du bois - notamment ceux peu transformés -, les émissions totales s’avèrent ainsi négatives. Cela pourrait laisser sous-entendre que l’utilisation du bois dans la construction est dans tous les cas vertueux d’un point de vue climatique.
Cette méthode de calcul de l’écobilan du bois est en revanche à remettre en question. En effet, le bois coupé et utilisé en construction est un stock de carbone fixe, tandis que s’il avait été laissé sur pied, il continuerait de capturer du CO2 au cours de sa croissance. De plus, utiliser du bois dans la construction revient à déplacer sur un chantier un stock de carbone qui était auparavant dans la forêt, duquel on déduit l’impact carbone lié à la coupe, au transport, à la transformation, etc. Ainsi, construire en bois de cette façon n’aboutit pas à des “émissions négatives” mais bien à une réduction du stock de carbone de nos forêts, voire à des émissions “positives” de CO2.
Cependant, on pourrait commencer à prétendre prendre en compte le phénomène de “puits de carbone” dans la construction dès lors que la forêt source est gérée de manière responsable. En effet, si l’on replante un arbre après la coupe d’un précédent, le stock de carbone continue donc de grandir. Il est donc important de s’assurer de la provenance du bois et de privilégier les labels certifiant une gestion durable des forêts.
Il manque cependant une dernière étape pour vraiment s’assurer que le phénomène de puits de carbone puisse être considéré valable pour le bois de construction. En effet, le cycle de croissance d’un arbre jusqu’à son exploitation, qu’on appelle « révolution », varie selon les essences de bois mais également selon les critères d’économie et de productivité (on a en effet tendance, ces dernières années, à réduire les révolutions par rapport au cycle « naturel » pour augmenter la productivité de la forêt, au détriment de la biodiversité). De ce fait, afin que notre bois de construction soit climatiquement neutre, il faut qu’il reste dans le bâtiment au moins le temps d’une révolution, afin qu’il soit définitivement remplacé, en termes de stock de CO2, par son successeur dans la forêt.
Par exemple, l’agence française de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) considère l’effet de puits carbone uniquement dans les éléments en bois inclus dans des objets qui dureront au moins un siècle6.
Concrètement, pour permettre à nos éléments en bois d’atteindre l’objectif d’une révolution, plusieurs stratégies se présentent à nous :
Vous l’aurez compris, utiliser des fibres vierges de bois pour en faire des palettes jetables n’est donc pas neutre en carbone, et encore moins à « émissions négatives » lorsqu’on considère l’entier du cycle de vie !
L’effet « puits carbone » du bois dans la construction est donc loin d’être systématique, notamment de par sa longue période de révolution. Pour certains usages, l’isolation par exemple, des matériaux comme la paille ou le chanvre permettent de très rapidement bénéficier de l’effet « puits de carbone » car leur cycle de révolution est très court (une année).
Enfin, lorsque les éléments de construction en bois ou tout autre matériau biosourcé - arrivent en fin de vie, ils sont souvent incinérés et libèrent ainsi tout leur stock de CO2. A la fin du cycle, les émissions sont dès lors de nouveau positives. Le stockage du CO2 n’a ainsi été que temporaire (quelques dizaines, voire centaines d’années dans le meilleur des cas), ce qui est négligeable au vu des milliers d’années que le CO2 émis reste dans l’atmosphère. De plus, il peut être dangereux de comptabiliser maintenant des “émissions négatives” qui seront dans tous les cas de nouveau libérées dans l’atmosphère dans quelques dizaines d’années. En effet, cela “repousse le problème” en différant dans le temps la nécessité de réduire nos émissions de CO2. C’est pourquoi, au vu de toutes ces données, certains organismes, comme la Conférence de coordination des services de la construction et des immeubles des maîtres d'ouvrage publics KBOB, prennent en compte la fin de vie dans leurs ACV (analyses de cycle de vie), annulant ainsi l’effet de puits de carbone du bois de construction.
Il en reste cependant que le bois est un matériau renouvelable très intéressant du point de vue climatique et constructif si sa ressource est gérée de manière durable et son emploi rationnel.
Image de couverture : Bardage bois © Bernard Hermant on unsplash